la maison incomplète
Enfin j'en ai par dessus la tête de tout ça. Des papiers partout comme branches et feuilles, des lits des fenêtres ouvertes à toute page. Enfin je construis ma maison pour mes soixante ans de vie. Enfin un vrai désordre sans crainte sans complexe.
Ce sera une maison japonaise. Le panneau qui me servait de ciel de lit devient table de cuisine. Je peux enfin manger dans cette prairie, brouter le ciel des étoiles comme pourraient dire Chagall ou Rimbaud. Et même Apollinaire, ô tour Eiffel pour peu que coule la Seine. La planche de salut sous mes mains cette fois. Mon horizon à portée des mains, manches retroussées dans mes rêves. Le citron coupé sur la table devient vraiment le citron de Braque, plein de chair où le bonheur de voir a rejoint celui de toucher, l'amour du fruit celui de la peinture, de manger celui de ne pas manger, d'exister ensemble une chose et son contraire, plusieurs choses et plusieurs contraires en une seule : objet de l'art. Et l'écriture y parvient aussi, spontanément si tu la laisses faire. Mais elle demeure incomplète : elle a besoin d'un lecteur pour être révélée.