confidence
Il faudrait que je retrouve tous mes poèmes, voilà ce que dit l'homme à l'approche de la soixantaine. Il comprend que s'il a fait quelque chose qui vaille avec le langage, ce n'est guère que cela. (Il se trompe). Des poèmes isolés, surtout du temps de la jeunesse. Des 20 ans, 30 ans, quelques uns ensuite de temps en temps. Pas de quoi bâtir une œuvre. Les poèmes sont toujours isolés. Voilà pourquoi c'est le chantier. Les poèmes comme les visions : un matin de neige, ciel bleu, franc soleil, fraîcheur. Les poèmes capturent de la vie - du sens - du mystère - du bonheur - pas toujours du bonheur vécu, mais du bonheur est enfoui en eux.
Il dit : on ne construit pas là-dessus. Pourtant il ne croit à rien d'autre. Il remet toujours tout en chantier. Il pense : c'est là seulement, dans un poème éclos que s'est inscrit le plein monde d'un regard, un plein instant, un plein amour.
On ne peut rien bâtir avec de la poésie. C'est en substance ce que lui avait dit son père (peut-être même était-ce ses mots). Il avait dû acquiescer au fond de lui (déjà en train de tricher) – Mais, je veux être peintre ! avait-il dit.
Il me revient un poème, je l'appelais dédicace (peut-être l'ai-je déjà donné) :
au moins je voudrais t'offrir
tout l'envers de mes poèmes
le dos blanc de chaque mot
mais c'est toi qui le possèdes
de toute cette éternité
Le bonheur, c'est le poème écrit tout entier en Autre (en Autre s'adressant à Autre)