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sentiers en cours
30 août 2008

chemins croisés et décroisés

Voici un texte, écrit trente ans plus tôt, après avoir quitté une autre maison, une autre compagne. Plus lyrique peut-être, c'est pourtant bien le même chemin d'écriture, la même vie ?
Tilleul
Le rêve monté à deux, monté trop haut monté trop vite avait fleuri comme ces salades l’été qu’on avait oublié de manger. Et finalement leur tige solide leur âcre parfum leurs graines ont su défier la pierre, la maison peut-être écroulée que nous avons abandonnée. La grande pièce aux murs blancs, j’y pense toujours comme à un oiseau, le tilleul emplissait une des fenêtres, léger, aérien, une bouffée d’aile végétale, une branche plutôt qu’un tronc, déployée depuis les orties les caillasses les bris de tuiles qu’elle bousculait d’un geste pour atteindre le haut de la maison, s’écartant un peu, revenant le frôler juste au-dessus des premières tuiles lorsque j’écrivais, regardant au-delà des feuilles, au-delà du vallonnement des collines, au-delà des champs jaunes, mauves, posés comme des draps sur le sol, au-delà des montagnes, au-delà des mers, humant l’espace sans limites, lançant des buffles ou des chevreuils imaginaires sur la toison des arbres, qui s’y frottaient le ventre et m’apportaient l’odeur du voyage. La transparence du ciel frémissait sur la terre. Je respirais à peine, comme sur le velours d’une amande. J’écrivais. Je dédoublais ma vie, je la multipliais comme le marchand fait défiler sous ses doigts le coin des étoffes précieuses. Dehors le tilleul aux frisettes jaunes se regorgeait de la brise d’été. J’écrivais, je ne savais pas alors ce que je faisais. Que je tentais d’apporter de l’air, qu’il y avait en moi un cœur de replis serrés, dont je simulais l’ouverture.

A présent, chaque matin, j'ouvre mes volets sur la rue, son bruit, ses voitures en stationnement. Ce n'est plus le visage de la femme aimée et, tout près, le pin parasol, les lauriers-roses, la ligne des chênes et le ciel immense, les oiseaux qui venaient souvent marcher ou picorer dans l'herbe sous la fenêtre : le pivert, les merles, les rouges-queues ou le rouge-gorge et tant d'autres, selon les saisons. Ce chemin commun qui nous avait conduits jusqu'ici n'est plus, elle a rencontré un autre chemin auquel accoler le sien, un élan de bonheur plus fort, irrésistible – qui pour moi est long et douloureux arrachement.

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Commentaires
T
un visage?...
F
Je respecte votre souffrance.
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