Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
sentiers en cours
10 décembre 2008

le temps habité

ericferberC'est comme une douce effraction, que propose l'art. Douce, parce qu'à l'intérieur nous y sommes déjà. Mais nous ne l'habitons pas. Parfois nous en prenons violemment conscience. Je pense à César Vallejo. Brusquement, il découvre la vie. Il est à Paris, ce doit être dans les années trente, il fit un poème en forme de discours : "Messieurs ! Aujourd'hui, pour la première fois, je me rends compte de la présence de la vie. Messieurs ! je vous prie tous de me laisser seul un moment pour savourer cette émotion formidable, spontanée et récente de la vie qui, pour la première fois aujourd'hui, m'emplit d'extase et me fait heureux jusqu'aux larmes."
Je pense également à Christian Bonnefoi, dont l'exposition actuellement au centre Georges Pompidou porte ce beau titre : "l'apparition du visible". Je l'écoutais hier soir à france-culture et je capte ces mots qui lui sont venus spontanément lorsque la journaliste, spontanément aussi, presque brusquement, laisse échapper la question "le temps, la notion du temps intervient ?" : "Le temps est fondamental. Je considère que la peinture est une dimension temporelle beaucoup plus que spatiale, pas seulement à cause du temps réel, du temps de la réalisation, de la production, mais aussi le fait qui pour moi est le grand mystère de la peinture c'est que un tableau – là je ferai référence aux chefs-d'œuvre existants – ce sont des choses que l'on va voir et revoir et quelles que soient les analyses mises en œuvre, le tableau est toujours vivant donc ça veut dire que le sens qu'il diffuse est un sens qui se diffuse perpétuellement, il se diffuse temporellement et pas spatialement."

C'est dans une photographie que j'écris. Dans le temps délivré par cette photo (ce tableau) qu'on ne voit pas ici parce qu'elle s'est refusée à se faire photographier, si bien que j'ai mis un autre tableau du même photographe (Eric Ferber), mais très différente. Celle-là, pour la voir, il vous faudrait aller rue Pêcherie à Romans, dans l'atelier où elle est exposée, à l'angle de la place puits-du-cheval... La beauté est partout. Mais toujours là où on ne l'a pas décidé. Jamais je n'avais vu comme aujourd'hui les couleurs, l'intériorité, l'espace, la lourdeur chaude des tissus photographiés là, les contrastes, le velouté, la matière dans laquelle non seulement le regard mais tous les sens du corps, semble-t-il, se faufilent comme pour se mettre au chaud, se cacher comme l'enfant dans les jupes ou les manteaux de sa mère, ou les rideaux, ou les recoins, malicieusement, douillettement. Jamais non plus je n'avais vu les courbes, les successions de volumes colorés comme des dunes, ou des vagues ou des feuillages magnifiques. Toujours cet enfant qui s'y glisse avec tant de plaisir comme il mange du chocolat, lèche sa glace préférée. Cette photo, qui comble de silence et de beauté laisse pourtant le texte s'écrire lorsqu'il n'y a plus rien a dire, plus rien de prévisible, plus rien de maîtrisé. Elle est comme la présence de l'autre, l'être aimé à qui l'on ne sait que dire parce qu'il n'est plus nul besoin de parole dans la plénitude, le bonheur, mais qui pourtant va faire naître peu à peu des mots, d'abord épars puis s'animant, se rassemblant, finissant par raconter des merveilles eux aussi, comme stimulés par cette beauté silencieuse qui était là. Ils viennent, ils créent, ils disent, hors de toute nécessité apparente. Et cela me semble maintenant parler de la création, celle du monde, celle des êtres qui viennent eux aussi on ne sait d'où, qui engendrent eux aussi des beautés, des silences, des présences inattendues qui nous laissent saisis d'admiration. Ad-miration, c'est-à-dire venant des mirages, de ce qui se mire, miracle, venant par miracle.

Publicité
Publicité
Commentaires
K
merci Céleste, c'est une fleur de lotus que vous posez sur mon eau
C
Superbe texte sur l'art, la création;..un texte qui donne à la fois envie d'écrire, de regarder, d'admirer<br /> <br /> "Ad-miration, c'est-à-dire venant des mirages, de ce qui se mire, miracle, venant par miracle. "<br /> <br /> Merci kelcun pour ce moment de poésie, de réflexion, de bonheur
T
corps et âmes dans ces drapés...<br /> Je connais également plein de textes écrits pour combler un manque : celui de la photo absente, qui n'a pas pu se faire ou tout simplement parce que l'appareil photo n'était pas disponible! Ce sont ces photographies mentales qui sont les plus intéressantes car elles génèrent et re-génèrent les mots...
F
bonjour,<br /> remerciement pour la critique de cette photo et l'exposition qui a retenu votre attention, gaspard nocturne m'a laissé l'information dans ma boîte au lettre, je me permets, moi aussi détenteur d'un blog, de ne trouver aucune identité de la personne, comme sur de nombreux blogs me laisse perplexe, je vous laisse mon émail en dehors du circuit de votre blog pour au moins s'identifier et se présenter, selon votre bon vouloir, la moindre des choses me semble t'il? À bientôt!
Publicité