le bruit de la pluie
L'indicible musique de la pluie qui nous entoure, comme une maison. Les mots en suspens. La suspension pendue au plafond de la cuisine, au-dessus de la table. La lumière tamisée, obscurcie des soirs d'hiver. Les petits soirs de la petite famille dans sa petite maison. C'est quand on est petit, calé dans son coin d'enfance. Il reste une photo, il ne reste plus qu'une image, plus qu'un souvenir, plus qu'une lueur de lampe suspendue au plafond, avec le papier tue-mouches l'été, et les têtes d'ail à l'automne. Que faire avec l'enfance ? Ces petits restants d'images à utiliser, transformer pour les offrir à des nouveaux venus, les faire passer dans le présent, avec de nouvelles formes, de nouvelles couleurs qui les rendront méconnaissables – mais qui aurait besoin de les reconnaître ?
Il suffit de pouvoir les remettre en jeu, de fabriquer avec ces éléments de notre vie d'autres morceaux, d'autres constituants de cette vie matérielle – notre vie. A la Duras, à la Georges Perec, à la manière des "plasticiens" si l'on veut. Et de continuer à vivre là-dedans.
Il pleut sur du carton. Musique incomparable. Car ce bruit de carton mouillé qui crépite sous la pluie, à la fois mou, tendre, plaintif, multiple et répétitif, séducteur et pourvoyeur d'inquiétudes tenues à l'écart, dehors, ce bruit est celui de l'intérieur de l'enfance, le carton celui d'une cabane qui peut bien se détremper et qui sèchera, le soleil revenu. C'est celui des travaux manuels, ce qu'on peut faire et défaire à sa guise, la matière n'est pas précieuse, elle est seulement docile, elle se prête à nos jeux, à nos surprises, elle peut se peindre, elle peut se gaspiller. Comme la pluie elle-même.
La pluie qui tombe ici au dehors d'une autre maison, bien plus tard que l'enfance, la pluie qui tombe ce soir sur les feuilles mortes de la place.
La vie matérielle* voir bibliographie